Truisme d'hiver
2 participants
Café polyglotte sur le net (Language forum) :: salons en différentes langues (Lounges in various languages) :: Parlons ensemble (apprentissage du français)
Page 1 sur 1
Truisme d'hiver
J'ouvre un oeil : il fait noir. Le cerveau dans les limbes, j'essaie de comprendre les alentours, scrutant chaque parcelle d'obscurité à travers mes pupilles dilatées. Après un moment, je m'avise qu'ouvrir le deuxième oeil pourrait m'aider. Mais non, il fait toujours aussi noir.
Je tourne la tête vers le réveil aux aiguilles fluorescentes : il est 6 heures.
Bientôt une rumeur surgit du lointain, sourde et martelée à la fois. Elle enfle peu à peu. Le train passe en contrebas. Pas de doute, je suis chez moi.
Je sors du lit, enfile mon pyjama en coton bio et descends à la cuisine d'un pas brinquebalant - se lever tôt, ça laisse plus longtemps à ne rien faire.
Je fais chauffer le lait, tartine outrageusement un morceau de pain bio complet, avec de la confiture de fraises non traitées, avale un verre de jus de pomme cent pour cent jus de fruit - sans sucre ajouté -, et file à la salle de bain attenante.
Je passe mon visage au savon, sans penser pour autant à l'élection présidentielle, débarrasse mes crocs des bactéries clandestines et passe sous la douche bien chaude, qui réveille mon corps gourd de sommeil et active les trois neurones principaux qui dirigent ma conscience.
Je me vêts, sors par la porte d'entrée – ce sont des choses qui se font, paradoxalement – et me retrouve saisi par le froid sibérien, qui étreint la ville, accroche des guirlandes aux pylônes électriques, et calme la bise. Une brume diffuse rend les maisons fantomatiques, irréelles, dans leur habit jaune et rouge, surmontées de panaches de fumée grise qui s'envolent dans les cieux et font tousser les corbeaux zélés qui hantent l'azur.
J'entre dans ma voiture et démarre. La ville dort encore en ce samedi matin, paresseuse, avide de grasse matinée qu'encourage une météo hostile.
Sur le pont du Channel, je croise un skin en débardeur noir, percé de partout, avec ses gros godillots et sa coiffure extravagante.
Un peu plus loin, une femme aux traits tirés empoigne une rambarde pour se hisser dans un improbable bus qui l'emporte sans doute vers le turbin. Une jupe écossaise surmonte des bas noirs et des bottines rouges. Le col relevé de son blouson laisse émerger des oreilles et un nez rougis, qu'une chevelure blonde coupée au carré coiffe lumineusement, comme un flash dans la nuit.
Mes phares éclairent les yeux d'un labrador qui trottine dans la contre-allée, étrangement seul. Il me semble entendre un « ouarf ».
J'atteins bientôt la plage, où tout est silencieux, éteint, en-dehors des lampadaires qui éclairent l'avenue du général de Gaulle.
Je longe les villas cossues avant de me garer sur le parking principal, encombré d'ombres lubriques le soir venu, mais désert ce matin.
A droite, près de la jetée, la baraque de Sam est déjà éclairée. Le bougre prépare ses beignets tunisiens, dans la chaleur de l'huile frémissante et l'odeur de graillou.
« -salut Sam, et la grasse mat' dans tout ça ?
quand on a la frite, on se lève tôt , mon gars ! »
Je glisse un euro cinquante sur le comptoir, avant d'emporter la friandise sur le banc défraîchi où je m'installe, face à la mer.
Une mouette aux larges ailes glisse dans l'air qui surplombe la grève, où deux quidams diaphanes chassent les détritus abandonnés par des visiteurs indélicats.
Chaque pylône est coiffé par une mouette endormie, blottie dans ses plumes, comme un gros chat marmoréen et blasé.
Alléchée par l'odeur de frite sucrée, l'une d'elles s'éveille soudain et, sans façon, descend s'installer sur mon banc, à un mètre de moi. C'est Louise, je la reconnais à la touffe de poils noirs qui souligne son oeil droit. Je la regarde, amusé, tendre le cou vers mon beignet.
Peu désireux d'entamer un bras de fer avec l'animal, je lui abandonne un morceau respectable, qu'elle s'empresse de déchiqueter joyeusement, avant de l'engloutir peu à peu, bouchée après bouchée. Puis, satisfaite, repue, la mouette se tourne vers la mer, se laissant caresser par les embruns glacés , transie et ravie à la fois.
On entend passer au large un cargo sombre, probablement gonflé de bananes ou de fringues made in China, bientôt suivi d'un imposant pétrolier, puis d'un troisième bateau.
Après quoi, c'est un car-ferry de P&O qui entame la traversée du détroit, bondé de deux-mille passagers surexcités ou placides.
Je remonte mon col, frissonnant. Le soleil commence à poindre à l'horizon. Il est temps de rentrer.
Je salue Louise et, tandis qu'elle remonte sur son perchoir, je me dirige vers la boulangerie toute proche, où Maria, cette femme accorte au sourire aimable, se lamente sur le temps qu'il fait, bien contente au fond de vivre au chaud, entourée de ses tartes délicieuses et autre chocolats divins, pourfendeurs de l'eau gazeuse et thuriféraires du cholestérol.
Je tourne la tête vers le réveil aux aiguilles fluorescentes : il est 6 heures.
Bientôt une rumeur surgit du lointain, sourde et martelée à la fois. Elle enfle peu à peu. Le train passe en contrebas. Pas de doute, je suis chez moi.
Je sors du lit, enfile mon pyjama en coton bio et descends à la cuisine d'un pas brinquebalant - se lever tôt, ça laisse plus longtemps à ne rien faire.
Je fais chauffer le lait, tartine outrageusement un morceau de pain bio complet, avec de la confiture de fraises non traitées, avale un verre de jus de pomme cent pour cent jus de fruit - sans sucre ajouté -, et file à la salle de bain attenante.
Je passe mon visage au savon, sans penser pour autant à l'élection présidentielle, débarrasse mes crocs des bactéries clandestines et passe sous la douche bien chaude, qui réveille mon corps gourd de sommeil et active les trois neurones principaux qui dirigent ma conscience.
Je me vêts, sors par la porte d'entrée – ce sont des choses qui se font, paradoxalement – et me retrouve saisi par le froid sibérien, qui étreint la ville, accroche des guirlandes aux pylônes électriques, et calme la bise. Une brume diffuse rend les maisons fantomatiques, irréelles, dans leur habit jaune et rouge, surmontées de panaches de fumée grise qui s'envolent dans les cieux et font tousser les corbeaux zélés qui hantent l'azur.
J'entre dans ma voiture et démarre. La ville dort encore en ce samedi matin, paresseuse, avide de grasse matinée qu'encourage une météo hostile.
Sur le pont du Channel, je croise un skin en débardeur noir, percé de partout, avec ses gros godillots et sa coiffure extravagante.
Un peu plus loin, une femme aux traits tirés empoigne une rambarde pour se hisser dans un improbable bus qui l'emporte sans doute vers le turbin. Une jupe écossaise surmonte des bas noirs et des bottines rouges. Le col relevé de son blouson laisse émerger des oreilles et un nez rougis, qu'une chevelure blonde coupée au carré coiffe lumineusement, comme un flash dans la nuit.
Mes phares éclairent les yeux d'un labrador qui trottine dans la contre-allée, étrangement seul. Il me semble entendre un « ouarf ».
J'atteins bientôt la plage, où tout est silencieux, éteint, en-dehors des lampadaires qui éclairent l'avenue du général de Gaulle.
Je longe les villas cossues avant de me garer sur le parking principal, encombré d'ombres lubriques le soir venu, mais désert ce matin.
A droite, près de la jetée, la baraque de Sam est déjà éclairée. Le bougre prépare ses beignets tunisiens, dans la chaleur de l'huile frémissante et l'odeur de graillou.
« -salut Sam, et la grasse mat' dans tout ça ?
quand on a la frite, on se lève tôt , mon gars ! »
Je glisse un euro cinquante sur le comptoir, avant d'emporter la friandise sur le banc défraîchi où je m'installe, face à la mer.
Une mouette aux larges ailes glisse dans l'air qui surplombe la grève, où deux quidams diaphanes chassent les détritus abandonnés par des visiteurs indélicats.
Chaque pylône est coiffé par une mouette endormie, blottie dans ses plumes, comme un gros chat marmoréen et blasé.
Alléchée par l'odeur de frite sucrée, l'une d'elles s'éveille soudain et, sans façon, descend s'installer sur mon banc, à un mètre de moi. C'est Louise, je la reconnais à la touffe de poils noirs qui souligne son oeil droit. Je la regarde, amusé, tendre le cou vers mon beignet.
Peu désireux d'entamer un bras de fer avec l'animal, je lui abandonne un morceau respectable, qu'elle s'empresse de déchiqueter joyeusement, avant de l'engloutir peu à peu, bouchée après bouchée. Puis, satisfaite, repue, la mouette se tourne vers la mer, se laissant caresser par les embruns glacés , transie et ravie à la fois.
On entend passer au large un cargo sombre, probablement gonflé de bananes ou de fringues made in China, bientôt suivi d'un imposant pétrolier, puis d'un troisième bateau.
Après quoi, c'est un car-ferry de P&O qui entame la traversée du détroit, bondé de deux-mille passagers surexcités ou placides.
Je remonte mon col, frissonnant. Le soleil commence à poindre à l'horizon. Il est temps de rentrer.
Je salue Louise et, tandis qu'elle remonte sur son perchoir, je me dirige vers la boulangerie toute proche, où Maria, cette femme accorte au sourire aimable, se lamente sur le temps qu'il fait, bien contente au fond de vivre au chaud, entourée de ses tartes délicieuses et autre chocolats divins, pourfendeurs de l'eau gazeuse et thuriféraires du cholestérol.
Remy- Messages : 3178
Lieu : Calais
Langues : Français (Langue maternelle), Gb
Re: Truisme d'hiver
Bravo Bertrand,
Sympa ce récit, plein de vérité et marqué par cette pointe d'humour !
à mardi prochain
Sympa ce récit, plein de vérité et marqué par cette pointe d'humour !
à mardi prochain
Invité- Invité
Café polyglotte sur le net (Language forum) :: salons en différentes langues (Lounges in various languages) :: Parlons ensemble (apprentissage du français)
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum